mardi 11 octobre 2016

Voyage culinaire en écosse - Haggis, Whisky & Cranachan


L'Ecosse, qu'est-ce que ça peut bien vous évoquer…
Bravehart avec Mel en kilt, le monstre du Loch Ness, Highlander avec Christophe et Sean en kilt, les châteaux hantés, Simple Mind, des paysages de bruyères entre les Hauts de Hurlevent et le Chien des Baskerville, avec la silhouette d'Ewan McGregor jouant de la cornemuse, le kilt virvolant  ?

Bin en tout cas moi maintenant ça m'évoque la bouffe.
12 jours en Ecosse, à manger, boire du whisky et marcher dans les paysages de bruyères sauvages et désolés, en espérant apercevoir Ewan en kilt (ou James McAvoy on va pas chipoter), et votre vision de ce vert (et humide) pays est à jamais changé.

Le meilleur exemple est selon moi Robert Burns.
Robert Burns est un poète écossais né et mort au 18ème siècle, qui connu un succès fou en Ecosse et en Angleterre, et qui écrivit un poème sur le haggis, oui, oui, la panse de brebis farcie (ou de cerf, voir ici) au foie, poumon, cœur et avoine, parce que les écossais mettent de l'avoine PARTOUT.

Bref, 5 ans après sa mort débutait "The Burn's Supper", une commémoration annuelle de la naissance du fameux poète qui entrecoupe lectures, chansons, cornemuse, toast et on recommence entre chaque plat :
les gens arrivent, on écoute "The Selkirke Grace", puis sous les applaudissements et une guillerette cornemuse arrive le haggis porté par le chef-cuistot sur son beau plateau, là une personne choisie déclame "To a Haggis" puis éventre la panse avec un gros couteau pour bien faire gicler tous les suc de cuisson. Le joueur de cornemuse, le chef-cuistot et le poète se boivent alors un dram de whisky cul-sec, ensuite 25 minutes de speech "Immortal Memories", on continue à manger, on chante, ensuite "Toast to the Lassies" qui est un hommage à la gente féminine, on lit des poèmes de Robert et on choisi quelqu'un qui va voter les meilleurs intervenants de la soirée (job ingrat car cette personne ne peut pas boire (enfin pas trop) et doit écrire un texte de remerciement au pied levé).

Je ne vous fais pas languir plus longtemps, voici quelques photos pour vous faire saliver, et comme je suis gentille vous avez droit à une version traduite de "To a Haggis" !


ODE AU HAGGIS
(Robert Burns - traduction Gérard Hocmard, texte original ici

Salut à ton honnête, à ton aimable face, 
Toi qui parmi les puddings es le chef de ta race ! 
C'est à toi que revient la première des places 
 Dessus tripoux, panse et abats, 
Tu mérites que tous vraiment te rendent grâces 
 Longues comme mon bras. 
Tu remplis le tranchoir qui sous ton poids se plaint. 
Tes fesses font penser à la colline au loin, 
Ta pointe pourrait bien réparer le moulin 
 Si le besoin en advenait,
Tes pores cependant distillent comme un suint 
 De l'ambre en chapelet. 
Regarde le rustaud essuyer son couteau, 
Se mettre à découper avec aise et brio, 
Creusant comme un fossé, en incisant la peau 
 Tendue et chaude de tes miches. 
Dans quelle gloire alors tu suscites les oh ! 
 Que ton fumet est riche ! 
Tous alors, coude à coude, approchent et s'entrepoussent, 
Ils s'empiffrent comme s'ils avaient le diable aux trousses, 
Jusqu'à ce que leurs ventres tendus et maousses, 
 Résonnent comme tambours en somme, 
Et qu'un vieil échevin, d'éclater plein de frousse, 
Entonne un Te Deum. 
Y a-t-il être ici-bas aux moeurs dégénérées 
Qui irait préférer ragoût ou fricassée, 
Un olio propre aux porcs à donner la nausée 
 Et qu'ils repousseraient, maussades, 
Alors qu'il peut ainsi faire franche lippée 
 De telle régalade ? 
Pauvre diable ! Voyez-le devant son assiette 
Comme un roseau fluet, tout l'air d'une mauviette, 
Le poing guère plus gros qu'une pauvre noisette, 
Tout flageolant sur ses guiboles. 
Comment à l'ennemi peut-il faire sa fête, 
 Quand vient l'occasion folle ? 
Mais, nourri au haggis, voyez un peu le gars ! 
Il fait en s'avançant tout trembler sous son pas. 
Dedans son poing robuste une épée plantez-moi, 
 II la fera sitôt siffler, 
Et toc, comme chardons, têtes, jambes et bras 
Il va vite élaguer. 
Vous, puissants, qui voulez le bonheur pour la masse 
Et veillez que soit bon le menu qu'on lui fasse, 
L'Ecosse, sachez-le, ne veut pas de lavasse 
 Qui dans le bol clapote et bruisse. 
Mais si vous entendez rester en bonne grâce, 
 Donnez lui du Haggis ! 



Délicieuses saucisses, 
pour se faire un "sausage & mash" maison comme celui dégusté à Mums




Cadenhead's,
distillerie indépendante qui propose entre autre 4 blended malt 
(Lowland, Highland, Isley et Campbeltown qui titrent entre 50,5% et 58,8% !)


repas typique à la prison du château d'Edimbourg


Irn-Bru, 2ème boisson nationale après le whisky, et c'est franchement infâme
(du jus de Haribo en gros)


Deuchars IPA, bière édimbourgeoise et repas indien à emporter de chez Mint


Casse-croûte Renaissance au château de Stirling


Notre QG à Glasgow, 
le Ben Nevis et ses murs de whisky



Fish & Chips au Merchant Chippie de Glasgow
(oui, oui, c'est bien du cheddar sur les frites, et on a fini avec un Mars frit !!!)



Rosbeef de bœuf Angus et légumes racines (9£ le kg, voilà, voilà)



Malle (à boisson) de voyage (vin, spiritueux et liqueurs) 
pour gentilhomme aisé du 18ème



Chez nous c'est les moelleux coulants au chocolat,
là-bas c'est les sticky pudding
-avec un petit dram de Highland Malt de Cadenhead's



Bread barter à la Bakery 47
tu ne paies pas ton pain mais tu l'échanges contre ce que tu veux !


Ce sera des origami 
(plateau l'emballage Cadburry's des sticky puddings !)



La fameuse boulangerie


 Une miche de bâtard tout chaud 
contre des origami


Petit-déjeuner 100% British :
tartine de pain bâtard au miel de bruyère écossaise, jus de pomme-sureau anglais


Sandwich du midi : 
pain Bakery 47, cheddar, oignon rouge, 
bacon fumé au bois de chataîgnier et de chêne


boutique de fudges à tous les goûts possibles et imaginables 


Les glaces exquises de Nardini , à Largs
(Don Vito's Raspberry & Dark Chocolate, Crunchy Toasted Pistacchio et Coconut)


Petit-déjeuner Bakery 47 
(pain au levain, brioche choco-framboise, 
scones cannelle-cranberries et ricotta-oignons confit-graines de courge)


Distillerie Glengoyne, dégustation d'un 12 et 18 ans d'âge


Pub Islay Inn :
black pudding au chèvre et onions rings


Cottage Pie


Steak & Ale Pie


The Pot Still, Glasgow
avec dégustation d'Auchentoshan (Triple Wood, une tuerie !)


The Wee Curry Shop, 
et ses pakora de haggis !


Fromages de la crémerie George Mewes :
Smoked Cuddy's Cave, Isle of Mull Cheddar, Brinkburn Goat



Les bonnes adresses :

Findlay's, 116 Portobello High Street, Édimbourg
Cadenheads172 Canongate, Édimbourg
Mint64 Portobello High Street, Édimbourg
Ben Nevis, 1147 Argyle Street, Glasgow
Merchant Chippie155 High Street City Centre, Glasgow
Bakery 47, 76 Victoria Road, Glasgow
Candy Box & Continental67 Main StreetLargs
Nardini'sThe Esplanade Cafe, 2 Greenock Road, Largs
Glengoyne Distillery, Dumgoyne near Killearn, Glasgow
The Islay Inn, 1256 Argyle Street, Glasgow
The Pot Still154 Hope Street, Glasgow 
The Wee Curry Shop7 Buccleuch StreetGlasgow
Georges Mewes106 Byres Road, Glasgow

Mais aussi Black Rose, Rose StreetÉdimbourg
Mums, 4a Forrest Road, Édimbourg 
Le Tesco de Musselburgh
The Good Spirit, 23 Bath Street, Glasgow



dimanche 19 juin 2016


Un dîner dans les nuages - Jean-Luc Brisson

 


«Qui n’a rêvé, une fois au moins, de manger les nuages ?» (Manger fantôme, Ryoko Sekiguchi)
 
Début juin, nous sommes parties manger des nuages à Marseille...
Un lieu : la Friche la Belle de Mai
Un artiste en résidence : Jean-Luc Brisson, enseignant à l'Ecole Nationale Supérieur de Paysage Versailles-Marseille
Un projet : la Brigade Amateur des Grandes Tables

"Plus qu'un restaurant, les grandes Tables sont un véritable lieu d'expérimentation et de création. L'idée est bien que la cuisine peut « faire culture » dans une vraie convivialité et accessibilité. Le restaurant marie le quotidien et l'extraordinaire, développe des démarches innovantes et festives, crée la rencontre entre des pratiques professionnelles et amateurs, et entre des pratiques d'ici et d'ailleurs."

"Le projet de la Brigade d'Amateur des grandes Tables est né de la conviction que la cuisine est une histoire de partage et une histoire d'amour. Partager d'où l'on vient et qui l'on est, dans un moment de vie, un espace, autour d'une table.
Depuis 2008, l'équipe des grandes Tables ouvre sa cuisine à des passionnés de cuisine partageant ces valeurs et leur donne la possibilité d'exprimer leur talent à d'autres que leurs proches, clients du restaurant, inconnus, curieux du goût.
Pour cette nouvelle Brigade d'Amateur, c'est l'artiste-paysagiste, Jean-Luc Brisson, que nous accueillons dans notre cuisine. Il souhaite proposer un repas dans les nuages, où les convives seront amenés à participer. D'ailleurs, avant de se rendre au diner, ils seront invités à répondre à un petit questionnaire préalable..."

En voici un petit extrait :
1 Préparez-vous de la nourriture avec de la neige, de l'eau de pluie ou de la rosée ? 
2 Cuisinez-vous des plats ou des pâtisseries qui ressemblent à des nuages ? 
3 Quel goût peut bien avoir un nuage selon vous? 
4 Pour vous, un nuage est-il plutôt sucré ou salé ?
5 Avez-vous déjà eu l'impression de voir un ciel dans votre assiette ? Si oui, plutôt l'aurore ? L'aube ? Un ciel d'orage, une tempête de neige ? D'autres types de ciels ? 

Nous voici dans le restaurant Les Grandes Tables : un peu à l'écart, une tablée avec de grands saladiers remplis de fleurs et d'eau, des carafes "d'eau de la Durance" et des verres.
Jean-Luc Brisson nous invite à nous rincer les mains car nous allons "toucher la nourriture", et nous attend avec un sèche-cheveux, après tout, n'est-ce pas le meilleur moyen de créer des nuages ? Et nous voici entraînées dans une nouvelle dimension, la dimension des nuages...
Tel un conteur, il nous parle de Descartes et sa théorie sur l'origine des nuages, il nous explique que l'eau de la Durance est une eau du robinet mais pas que, sa source est une cascade vaporeuse qui sera détournée, utilisée, perdue en chemin avant d'arrivée dans notre carafe, et nous invite à manger notre premier plat, des raviolis vapeur (les idéogrammes won ton signifient littéralement "avaler des nuages") tout en lisant un poème d'Emily Dickinson :


 



Banish Air from Air - Emily Dickinson

Banish Air from Air-
Divide Light if you dare-
They'll meet
While Cubes in a Drop
Or Pellets of Shape
Fit
Films cannot annul
Odors return whole
Force Flame
And with a Blonde push
Over your impotence
Flits Steam.
 
Banni l'Air de l'Air-
Divise la Lumière si tu l'oses-
Ils se rencontreront
Tandis que les Cubes en Forme
De Goutte ou de Granule
S'adaptent
Les films ne peuvent annuler
Les odeurs reviennent entières
Forcent la Flamme
Et d'une Poussée blonde
Sur ton impuissance
Volette la Vapeur.
 
(traduction libre)

Il est temps de monter sur le toit terrasse, ou presque...
Car avant le dîner au clair de nuage, c'est un apéro pictural et pittoresque qui nous attend, introduit par quelques vers de Cyrano : des croûtons de pain noir au charbon forment une voûte céleste, des feuilles d'endives rouge s'agglomèrent en nuages écaillés, petites barques qui nous permettront de plonger allègrement dans les volutes de crème d'ail teintée d'encre de seiche, les îlots de ratatouille... Où des bandes translucides de blanc de poireau et de radis noir côtoient le foie gras de la mer, celui de la morue !

 
 
 
 
 
 
 


Il est temps de sortir, et de découvrir le crépuscule dans nos assiettes...
Le premier plat est une interprétation toute personnelle de Bortsch, court texte de Walter Benjamin (que l'on peut retrouver dans Images de Pensée, aux éditions Christian Bourgois) ; une purée de betterave bien sucrée un œuf parfait, un peu de poireau émincé, et au premier geste du couteau, un ciel rougeoyant nous apparaît :

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le second plat est un coucher de ciel, citron, saumon fumé, chips croustillante de courge, quelques champignons  de Paris tout frais, de grains grenade et de graines germées, une tête de chou-fleur teinté d'azur et une crème de ricotta d'une douceur exquise :


 
 

Puis le plat de résistance, un carpaccio de poulpe comme une mer déchaînée d'où surgit un monstre marin (une chips de seiche), quelques épices japonais à la texture de pollen salé, risotto d'écume marine et ciel noir d'encre (de seiche) :

 
 

Enfin, le dessert tant attendu, annoncé par un extrait des Nuées d'Aristophane:

Nuées éternelles, élevons-nous, en rosée transparente et légère, du sein de notre père Okéanos aux bruissements profonds, jusqu'aux sommets des monts couronnés de forêts, afin de découvrir les horizons lointains, les fruits qui ornent la Terre sacrée, le cours sonore des fleuves divins, et la Mer aux mugissements sourds; car l'œil de l'Æther brille sans relâche de rayons éclatants. Mais dissipons le voile pluvieux qui cache nos figures immortelles, et embrassons le monde de notre regard illimité.

Une barbe-à-papa moutonneuse couronne une crème à la fois dense et légère, légèrement parfumée d'orange, et parsemée d'éclats de macarons et de fraises juteuses et sucrées :


 
 

 L'expérience est finie, nous repartons, rêveuses et repues sous le ciel étoilé, et pendant quelques jours encore, le ciel continue d'errer dans nos assiettes...

Si l'esprit de ce dîner vous a plu, nous ne saurions trop vous conseiller la lecture de Manger fantôme de Ryoko Sekiguchi, dont une des parties évoque l'idée de manger des nuages, barbe-à-papa chez nous ou en Iran, mais ravioli en Chine, voir leur reflet dans un liquide...
"Un jour, un poète de l’époque Yuan qui tenait un restaurant vit, en servant ce plat, le ciel se refléter dans sa soupe. Songeant donc que le client buvait le ciel en buvant cette soupe, un ciel où nageaient les raviolis, il nomma ce plat wahn-tan : "la soupe qui permet d’avaler les nuages"

Et pour découvrir le travail de Jean-Luc Brisson :

L'Evaporation motrice, Actes Sud 
"L'artiste Jean-Luc Brisson réfléchit au procédé de l'évaporation motrice qui permet de produire des mouvements très lents, de déplacer des masses aussi importantes qu'on le désire à une vitesse proche de la croissance des plantes. La mise au point expérimentale de ce procédé engendre des pensées que recueille lentement un carnet où se sont déposées, irrégulièrement et en ordre dispersé, des notes sur les nuages, la vaporisation, la distillation, les plantes, et aussi les conditions générales du laisser-faire."









ISBN : : 978-2-915978-78-0